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Randall Bartlett
Directeur principal, économie canadienne
Une nation ne peut pas se taxer elle-même pour prospérer
Lors d’un discours prononcé à l’occasion de la première réunion de la Free Trade League, en 1904, Winston Churchill a tenu ces propos célèbres : « Une nation qui se taxe elle-même pour prospérer, c’est comme un homme debout dans un seau qui essaie de se soulever en tirant sur la poignée. » Le jeune homme d’État et futur premier ministre du Royaume‑Uni s’opposait ainsi aux mesures tarifaires et plaidait en faveur du libre-échange, une chose qu’il a souvent faite au cours de sa carrière politique.
Churchill prédisait, avec justesse, que les mesures tarifaires et autres politiques similaires seraient désastreuses pour l’économie du Royaume‑Uni et pour les nombreux autres pays qui suivraient cette voie. Après la stagflation résultant de ces politiques dans les années 1970 et 1980, les baisses d’impôt, les échanges commerciaux plus ouverts et la libéralisation des marchés se sont imposés pour les économistes et les décideurs comme des moyens de stimuler la croissance économique. En effet, des gouvernements plus modestes et moins interventionnistes étaient alors considérés comme la solution à tous les problèmes.
Cependant, la montée récente du populisme politique, alimentée en partie par la hausse des inégalités et l’érosion de l’abordabilité, s’est traduite par un retour de gouvernements plus imposants, de déficits plus marqués et de dettes plus importantes. La pandémie de COVID‑19 a contribué à accélérer cette tendance. Pour le constater, il suffit de regarder ce qui se passe aux États‑Unis : des dépenses considérables, financées à l’aide de déficits, amènent le pays à s’endetter toujours plus. Bon nombre d’autres économies avancées comme le Canada adoptent une stratégie similaire, bien que parfois moins prononcée.
Comme nous l’avons souvent fait remarquer Lien externe au site., le Canada dispose d’une marge de manœuvre fiscale supérieure à celle de bien d’autres pays. Mis à part durant la pandémie, les déficits fédéraux ont eu tendance à être plutôt modestes, ne creusant que peu une dette comparativement déjà assez faible. Dans le budget de 2024, la ministre des Finances poursuit généralement dans cette lignée – en augmentant les impôts, puisque l’effet des perspectives économiques meilleures que prévu sur les revenus était insuffisant pour financer toutes les nouvelles dépenses (consultez notre analyse Lien externe au site. du budget de 2024).
La question qui se pose maintenant est celle-ci : combien en coûtera-t-il d’augmenter ces revenus? L’incidence des nouvelles mesures fiscales peut être examinée sous l’angle de trois concepts couramment appliqués pour évaluer une politique fiscale : l’équité, l’efficacité et la capacité à être administrée.
Certains soutiennent que les mesures fiscales du budget de 2024 favorisent l’équité. L’équité dans un système fiscal est souvent considérée comme étant à la fois horizontale – dans des circonstances semblables, chaque contribuable devrait payer un montant d’impôt similaire – et verticale – ce qui a fini par signifier que plus vous gagnez, plus vous payez (Page, 2017 Lien externe au site.). De ce point de vue, les hausses d’impôt annoncées dans le budget de 2024 peuvent effectivement être considérées comme équitables.
Qu’en est-il de l’efficacité du système fiscal? Selon Bartlett (2018) Lien externe au site., celle-ci « se mesure à son habileté à générer des recettes fiscales de la manière la moins bouleversante qui soit pour les mesures incitatives et les comportements, l’objectif étant de nuire le moins possible à l’activité économique ». De vastes recherches menées par le ministère des Finances du Canada lui-même, à l’époque où il publiait encore des analyses, il y a une vingtaine d’années, ont montré que la hausse de l’impôt sur les immobilisations ou le revenu nuisait à la prospérité et au PIB réel davantage que la hausse de toute autre forme de taxe (Baylor et Beaujour, 2004 Lien externe au site.; Ministère des Finances du Canada, 2004 Lien externe au site.; Baylor, 2005 Lien externe au site.). Des recherches plus récentes au Canada et à l’étranger ont abouti à une conclusion similaire, quoique parfois plus nuancée (OCDE, 2023 Lien externe au site.).
Le dernier critère d’évaluation d’une politique fiscale est sa capacité à être administrée – essentiellement, est-ce que le gouvernement fédéral a la capacité de mettre en place la taxe comme il le souhaite et dans l’esprit de la loi? Par le passé, nous avons vu que des Canadiennes et Canadiens fortunés ont eu recours à une planification fiscale sophistiquée pour éviter de payer de l’impôt, ce qui s’est traduit par moins de revenus que ce qui était attendu (Directeur parlementaire du budget, 2019 Lien externe au site.). Les sociétés peuvent aussi se lancer dans une planification fiscale internationale, surtout les entreprises multinationales. D’où l’affection du gouvernement fédéral pour un impôt minimum mondial.
Tout compte fait, même si plusieurs considèrent que les nouvelles mesures fiscales sont équitables, il est évident qu’elles sont susceptibles d’engendrer des effets de distorsion dans l’économie et d’être difficiles à administrer. Cela devrait se traduire par des revenus gouvernementaux moindres que prévu, ainsi que par des investissements des particuliers et des entreprises inférieurs à ce qu’ils auraient été autrement (consultez nos prochaines publications sur les répercussions potentielles des nouvelles mesures fiscales sur l’industrie). Et le moment pourrait difficilement être pire, car l’investissement des entreprises est déjà dans les bas-fonds. Se taxer soi-même pour prospérer, dites-vous?
Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022
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