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Commentaire hebdomadaire

La parallaxe tarifaire

7 février 2025
Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège

La saga de la politique commerciale américaine s’est poursuivie la semaine dernière, lorsque Donald Trump a annoncé qu’il imposait des tarifs douaniers sur les biens canadiens et mexicains le 1ᵉʳ février, avant de se raviser le 3 février en contexte de forte résistance de la part des dirigeants des deux pays. Même si la menace s’est estompée dans l’immédiat, ce récent épisode a rendu le monde entier nerveux. C’est parce que Trump a adopté une attitude beaucoup plus agressive à l’égard de la politique commerciale que ce à quoi on s’attendait pendant la campagne.

 

Il n’est pas possible de réparer les dommages causés par l’incertitude. Qu’il s’agisse des motivations changeantes et disparates derrière les tarifs annoncés, de la décision de cibler deux alliés des États-Unis – dont le Canada, sans doute le plus proche – ou de la volonté du président Trump de faire marche arrière sur la base de concessions déjà annoncées, la fonction de réaction est beaucoup moins prévisible que plusieurs le croyaient le 20 janvier. L’un des effets immédiats de cette saga sera un affaiblissement considérable de l’investissement des entreprises au Canada. Cet effet se matérialisera par les canaux directs, notamment à travers le report des dépenses en capital. Mais il se matérialisera aussi indirectement à travers la hausse des coûts d’emprunt des entreprises – car les prêteurs tiennent compte du risque – et l’augmentation des coûts des biens d’équipement induite par une devise plus faible (la moitié de ces biens étant importés).

 

Le fait que le Canada et le Mexique puissent encore influencer Donald Trump est légèrement encourageant. Le changement de cap du président, qui a accepté un accord plutôt que de mettre ses menaces à exécution à l’égard de possibles représailles, laisse entrevoir que ses alliés conservent un certain levier de négociation. Ce qui est inhabituel, toutefois, c’est que ce levier découle de promesses liées à la sécurité des frontières plutôt qu’au commerce. Notre analyse approfondie des vulnérabilités sectorielles met en évidence l’absence d’autosuffisance des États-Unis et le nombre limité de substituts à court terme pour des produits tels que le pétrole et le gaz, l’acier et l’aluminium. À première vue, le fait que les tarifs envisagés dans ces secteurs aient été réduits à 10 % semble confirmer cette dépendance. Mais comme le président Trump est prêt à justifier les tarifs comme moyen d’accomplir des objectifs multiples – par exemple, augmenter la production nationale, obtenir une contribution rehaussée des alliés aux dépenses militaires, renforcer l’étanchéité des frontières, etc. –, l’influence du Canada et du Mexique sera mise à l’épreuve. Par conséquent, nos prochaines prévisions supposeront une entrée en vigueur de tarifs douaniers au début du deuxième trimestre plutôt qu’au quatrième, comme prévu initialement.

 

Les risques sont maintenant fortement orientés à la baisse. Comme nous l’avons indiqué après l’annonce initiale de Donald Trump, une mise en œuvre hâtive des droits de douane annulerait les effets positifs temporaires de l’accumulation des stocks inclus dans notre scénario de référence. Les données de décembre sur le commerce au Canada ont clairement fait ressortir ce vent favorable, qui a entraîné une légère révision à la hausse de notre prévision de croissance pour le quatrième trimestre de 2024. Sans ces effets positifs – et avec des répercussions hâtives sur le marché du travail –, nos prévisions pour 2025 seront revues à la baisse, que les tarifs soient fixés à 25 % ou à un taux moindre. Les secteurs les plus durement touchés seront ceux de la fabrication automobile, de l’aéronautique, de la machinerie, des métaux primaires et du bois d’œuvre (ce dernier étant déjà assujetti à des droits de 14 %). Au Québec, nous estimons que ces secteurs vulnérables représentent 25 % du PIB. Et cette proportion est encore plus importante en Ontario en raison de la prédominance de l’industrie automobile.

 

Quant à savoir à quel point les marchés financiers influencent les décisions de Trump, la question demeure ouverte. Le fait d’annoncer les tarifs un samedi pourrait avoir été une tentative délibérée de limiter les turbulences sur les marchés. Ceux-ci ont réagi négativement lundi matin, et les titres des sociétés canadiennes du secteur automobile ont été particulièrement touchés. Mais les actions américaines, même si elles ont d’abord reculé, ont ensuite repris du galon et affiché une tendance à la hausse tout au long de la semaine, faisant globalement fi d’autres enjeux géopolitiques. La réaction du marché obligataire a été plus prononcée : les obligations canadiennes ont fortement rebondi, et l’écart de rendement Canada–États-Unis pour les obligations à 10 ans a atteint un creux historique (-149,9 points de base) mardi. Cela a fait plonger le huard, qui a momentanément presque atteint notre prévision auparavant non consensuelle de 1,48 $ US/$ CA pour le quatrième trimestre. Le président Trump ne se souciera vraisemblablement pas de l’évolution des marchés canadiens, mais l’élan donné aux actions américaines par sa décision de reporter les tarifs pourrait constituer une indication importante pour ses futures décisions politiques, à tout le moins pour l’ampleur de tarifs éventuels.

 

Quoi qu’il en soit, les décideurs canadiens doivent utiliser les 21 jours qui nous séparent du 1ᵉʳ mars pour se préparer au pire. Dans des travaux d’analyse que nous publierons prochainement, nous analyserons les mesures budgétaires d’urgence adoptées lors des deux dernières récessions (COVID-19 et crise financière mondiale). Nous évaluerons quelles mesures pourraient être adaptées à un choc tarifaire et quelles erreurs du passé devraient être évitées. La tendance à appliquer les mêmes vieilles stratégies n’a pas toujours bien servi les décideurs politiques, et nous soutiendrons qu’une réflexion à long terme doit primer cette fois-ci. Il en va de même pour la Banque du Canada. Même si nous ne voyons pas la nécessité d’une baisse de taux entre deux réunions, puisqu’il s’agit d’un choc macroéconomique plutôt que d’une crise financière, la Banque du Canada devra néanmoins se positionner en territoire légèrement accommodant d’ici peu. La mise à jour de nos prévisions la semaine prochaine reflétera ce changement. Nous maintiendrons toutefois qu’il n’est pas nécessaire de réduire excessivement les taux, compte tenu de la forte sensibilité de l’économie canadienne aux taux d’intérêt –dans les contextes tant restrictifs qu’accommodants.

Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022

Consultez l'étude complète en format PDF.

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