- Francis Généreux
Économiste principal
Est-ce que le président Trump retient les bonnes leçons économiques du président McKinley?
Depuis son entrée sur la scène politique en 2015, Donald Trump a adopté comme slogan « Make America Great Again ». Il n’a jamais été très clair à quoi faisait précisément référence le « again ». Est-ce le boum de l’après-guerre? Les Roaring Twenties? Ou une époque plus ancienne? Il semble maintenant assez apparent que selon le président Trump, la meilleure période pour les États-Unis était ce que l’on appelle le Gilded Age, soit la période entre la Guerre civile et le début du XXe siècle. C’est le moment où les États-Unis ont achevé leur expansion territoriale vers l’ouest, où de grands conglomérats industriels américains se sont développés et où le pays gravissait rapidement les échelons dans la liste des grandes nations de la planète. Un acteur clé de cette période a été le 25e président des États-Unis, William McKinley. En fait, parmi les anciens chefs d’État, il semble être l’un des seuls à susciter une certaine admiration de la part de l’actuel occupant du Bureau ovale. On peut toutefois se demander si Donald Trump a bel et bien raison de vouloir s’inspirer de cette époque et s’il retient les bonnes leçons du président McKinley.
Rappelons que bien avant d’être président, Donald Trump était déjà protectionniste Lien externe au site.. Cela s’applique également pour William McKinley. Celui-ci a gravi les échelons du Parti républicain en adoptant et en promouvant pleinement son principal crédo post-Guerre civile, soit la protection de l’industrie américaine par l’imposition de tarifs élevés sur les importations1. McKinley était le « Tariff Man » des années 1880. Alors qu’il était représentant de l’Ohio au Congrès et qu’il dirigeait le puissant comité Ways and Means, il a piloté en 1890 une augmentation substantielle des tarifs américains (qui étaient déjà élevés depuis la Guerre civile). Il est intéressant de noter quelques points au sujet des débats d’alors. Premièrement, l’imposition de tarifs était alors clairement l’apanage du Congrès et non du président. McKinley a probablement eu plus d’influence sur la politique commerciale américaine comme membre de la Chambre des représentants que comme président des États-Unis. Deuxièmement, et bien que le protectionnisme eût clairement le vent dans les voiles à la fin du XIXe siècle, l’opinion publique était tout de même profondément divisée à ce sujet, et ce, en invoquant souvent les mêmes arguments qui sont présentés aujourd’hui2. Les républicains (surtout du Nord-Est) militaient pour une protection à tout prix, soulignant qu’elle était nécessaire pour soutenir la production nationale, les profits et les revenus. Les démocrates, surtout du Sud, mais aussi des régions rurales de l’Ouest argumentaient que les protections augmentaient artificiellement le coût de la vie pour la majorité de la population, que les tarifs protégeaient surtout la valeur des actifs des classes aisées et qu’ils nuisaient à l’exportation de leur propre production. Ces points de discorde pourraient facilement provenir des récents mémos du président Trump ou des derniers éditoriaux du Wall Street Journal.
Les tarifs McKinley de 1890 ont fait augmenter le taux effectif des droits de douane sur les importations assujetties aux tarifs de 4 points de pourcentage, soit de 44,8 % à 48,8 % (graphique 1). C’était une hausse considérable. Toutefois, le sucre étant exclu de cette nouvelle grille de tarifs, l’assiette assujettie ainsi que les revenus du gouvernement fédéral ont été réduits. Paradoxalement, c’était le but désiré. Au cours des années 1880, le gouvernement enregistrait, grâce aux tarifs élevés, des surplus budgétaires considérables, et ce, à un point tel que la pression politique augmentait pour réduire les entrées d’argent, dont les tarifs… Ce que ne voulaient surtout pas les républicains protectionnistes. La question de la raison d'être des tarifs, soit entre une source de protection et une source de revenus budgétaires, a été au cœur des débats sur la politique commerciale au cours du XIXe siècle. En 1887, les droits de douane représentaient près de 60 % des revenus et plus de 80 % des dépenses fédérales (graphique 2), générant ainsi d’important surplus à une époque où il n’y avait pas d’impôts sur le revenu des particuliers ou des entreprises. Le président Trump peut bien regarder cette période avec nostalgie! Pourtant, de telles approches tarifaires et budgétaires seraient bien plus téméraires, voire dangereuses, aujourd’hui. Il faudrait des tarifs effectifs de plus de 50 % sur l’ensemble des importations américaines (comparativement au taux réalisé de 2,3 % en 2024) afin de générer assez de revenus pour seulement équilibrer le déficit budgétaire prévu pour l’exercice 2025. Augmenter les tarifs à un point tel qu’ils deviendraient une source majeure de financement serait si excessif que les recettes risqueraient de diminuer à mesure que les importations (et l’activité économique) chuteraient. À cela il faut ajouter que les conséquences du protectionnisme et des représailles des autres pays ont aussi un coût. Par exemple, durant le premier mandat de Donald Trump, les représailles chinoises envers les produits agricoles américains ont amené Washington à verser plus de 60 G$ US en aide aux fermiers américains, soit 92 % des revenus tirés des nouveaux tarifs Lien externe au site. sur les importations de biens chinois.
Est-ce que les États-Unis étaient si great à cette époque de tarifs élevés? À ce sujet, il y a du chaud et du froid. À première vue, l’économie américaine était surtout très instable. Selon le National Bureau of Economic Research, il y a eu huit récessions entre 1869 et 1900, dont quatre dans la dernière décennie du XIXe siècle. Évidemment, l’économie d’alors subissait fortement les cycles agraires et les premiers succès et ratés de l’industrialisation. Ni les gouvernements, ni la politique monétaire (sans banque centrale) ne jouaient de rôle stabilisateur. On ne peut pas non plus faire porter le blâme sur les seuls tarifs. Cela dit, une économie plus ouverte peut atténuer certaines difficultés intérieures en se tournant vers les marchés extérieurs, ce que ne devrait pas oublier le président Trump. Les récessions des années 1890 alors que le PIB réel n’avait pas progressé pendant une bonne partie de la décennie (graphique 3) ont surtout été provoquées par une politique monétaire rigide basée sur l’étalon-or qui a contraint le crédit et freiné le boum d’investissements industriels.
Cela dit, cette image de la conjoncture cache des avancées importantes. Le PIB réel a tout de même plus que doublé entre 1880 et 1900. La population a grandement augmenté pendant ces décennies, notamment grâce à une forte immigration. La découverte et l’extraction de ressources naturelle (dont le fer, le bois, le charbon et le pétrole) au sein du territoire américain ont alimenté l’essor industriel. L’adoption de nouvelles techniques, souvent facilitée par l’arrivée d’une main-d’œuvre qualifiée attirée par les opportunités américaines, a considérablement stimulé la productivité Lien externe au site., qui a augmenté plus rapidement que dans la superpuissance d’alors, le Royaume-Uni. Tous ces facteurs ont permis un enrichissement important (bien que très inégal) de la population américaine et leur rôle a sans doute été plus crucial que le niveau des tarifs. Il faudrait d'ailleurs que le président Trump retienne qu’un essor économique est possible avec un peu plus de protectionnisme, mais sous condition que le marché intérieur et la population américaine augmentent vivement, ce qui est en contradiction avec la politique migratoire de l’actuelle administration.
L’arrivée de William McKinley à la présidence à la suite de l’élection de 1896 a coïncidé avec un cycle de croissance économique plus soutenue. C’est à cette époque que les États-Unis sont devenus une véritable force industrielle. Cela a aussi été l’époque d’une expansion territoriale des Américains avec les annexions de Porto Rico, de Guam, des Philippines et d’Hawaï. McKinley a également joué un rôle dans l’indépendance de Cuba, dans la préservation de l’intégrité de la Chine face aux puissances coloniales et dans les débuts du canal de Panama. On sent là aussi l’influence « impérialiste » sur l’actuel occupant de la Maison-Blanche avec ses commentaires incessants sur le Canada, le Groenland, Panama et même Gaza.
Ce regard tourné davantage vers l’extérieur a eu des répercussions sur la politique commerciale de McKinley. Observant la vitalité de la production nationale, mais aussi les limites de la demande intérieure, le président a commencé à favoriser une ouverture du commerce international. Il a jeté les bases d’une politique de réciprocité, soit la négociation bilatérale d’ententes commerciales de court terme, non pas de libre-échange, mais de baisses ciblées de tarifs selon les adéquations des pays. Il a obtenu du Congrès le pouvoir de négocier ces traités, mais dans tous les cas (soit, pour la période 1899-1901, avec la France, l’Argentine, l’Équateur, le Nicaragua, la Grande-Bretagne et la Russie), le Sénat ne les a pas approuvés. Fait à noter, la réciprocité a historiquement une connotation d’ouverture des marchés, ce que semble oublier le président Trump, qui utilise plutôt ce terme pour justifier sa politique de tarifs plus élevés.
La mort violente du Président McKinley en septembre 1901 a coupé court à cette nouvelle volonté moins protectionniste. Son tout dernier discours Lien externe au site., la veille de son assassinat, a été l’occasion de clamer haut et fort ce qu’aurait pu être le fil conducteur de son deuxième mandat présidentiel : un véritable appel à la diplomatie et à l’ouverture des marchés. Deux extraits ont une portée particulière sous l’ère Trump :
« Aucune nation ne peut désormais se permettre d’être indifférente à une autre. Et plus nous sommes en contact les uns avec les autres, moins il y a de risques de malentendus, et plus nous sommes disposés, lorsque nous avons des désaccords, à les porter devant la Cour d’arbitrage, qui est l’instance la plus noble pour le règlement des litiges internationaux. »
« L’ère de l’exclusivité relève du passé. L’expansion de nos échanges commerciaux est un problème urgent. Les guerres commerciales ne sont pas profitables. Une politique de bonne volonté et de relations commerciales amicales empêchera les représailles. Les traités de réciprocité sont en harmonie avec l’air du temps, les mesures de rétorsion ne le sont pas. »
En espérant que le président Trump portera éventuellement son regard au-delà des débuts protectionnistes du président McKinley et plutôt vers ce que ce dernier a appris de ses années au pouvoir et ce qu’il voulait réellement accomplir.
1 MERRY, Robert W. President McKinley: Architect of the American Century, New York, Simon & Shuster, 2017, 608 p.
2 IRWIN, Douglas A. Clashing Over Commerce: A History of US Trade Policy, Chicago, The University of Chicago Press, 2017, 860 p.
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