- Mirza Shaheryar Baig
Stratège en devises étrangères
Un huard fort dans une économie faible, est-ce possible?
Il ne fait aucun doute que l’économie canadienne a continué de s’affaiblir. L’incertitude accrue pour les entreprises a déjà commencé à peser sur le marché du travail. Le marché de l’habitation s’est également refroidi, particulièrement en Ontario. Les plus récentes données sur le commerce international laissent croire que les exportations ont souffert plus durement que prévu des droits de douane.
Malgré tout, le dollar canadien s’est apprécié par rapport au dollar américain – il a gagné environ 3 % depuis le « jour de la libération ». C’est particulièrement surprenant, car les taux de marché canadiens ont diminué par rapport aux taux américains, ce qui tend généralement à faire baisser le taux de change.
S’agit-il d’une situation temporaire? Non. En fait, nous nous attendons à ce que cette divergence s’accentue au cours des prochains mois. Nous nous attendons à ce que l’écart entre les taux canadiens et américains s’élargisse encore, mais nous croyons que les fourchettes de négociation en USD‑CAD continueront de diminuer, pour s’établir à 1,35 d’ici la fin de cette année et à 1,30 l’an prochain.
Les taux de change sont des prix relatifs. En ce qui concerne notre prévision, nous estimons que c’est davantage le dollar américain qui s’affaiblit, et non le dollar canadien qui prend de la vigueur.
Plusieurs forces macroéconomiques pointent en ce sens :
- Après la COVID, les États‑Unis ont connu une croissance plus rapide que les autres économies avancées. Cela a changé. Les prévisions consensuelles pour le PIB américain ont fortement chuté et convergent vers une croissance similaire à celle attendue dans les autres économies avancées.
- Le dollar américain affiche une corrélation positive avec les actions, surtout depuis le « jour de la libération ». En d’autres termes, il a perdu son attrait de valeur refuge. Cela est important, car plusieurs investisseurs institutionnels canadiens qui n’ont pas couvert le risque de change de leurs placements américains sont maintenant forcés d’augmenter leurs ratios de couverture.
- L’administration Trump souhaite un transfert interne des revenus et de la richesse de Wall Street vers Main Street. Dire à Walmart d’absorber les droits de douane (« eat the tariffs »), hausser les barrières tarifaires sur l’acier et l’aluminium à 50 % et menacer Apple d’imposer des droits de 25 % sur les produits provenant de l’étranger – voilà les dernières manifestations des intentions du président Trump. Mais ce n’est pas ce que les investisseurs étrangers veulent. Ils veulent que les entreprises se concentrent sur la réalisation de profits. Pour de nombreux investisseurs, le capitalisme américain s’apparente désormais à la « prospérité commune » chinoise.
Où sommes-nous en train de nous tromper? Nous nous trompons si nous confondons les perturbations à court terme avec un changement de régime. Plus précisément :
- L’économie américaine pourrait encore défier les prévisions des économistes. Les prédictions générales d’une récession en 2023 se sont avérées inexactes.
- La spéculation sur les écarts de taux (carry trade) est un puissant moteur des flux monétaires. Le dollar américain offre encore les rendements sur dépôts les plus élevés du G7, et cela devrait continuer pendant plusieurs mois, tant que la Réserve fédérale ne modifie pas ses taux d’intérêt. Les opérations de carry trade sur le dollar américain pourraient reprendre de la vigueur.
- Le positionnement du marché a changé. L’investissement spéculatif à court terme est passé de positions haussières à baissières sur le dollar américain, par le biais des produits dérivés de change. Sur le marché des options, les investisseurs se protègent contre une baisse du dollar américain en achetant des options de vente sur le dollar américain. Les gestionnaires de portefeuille étrangers ont réduit leurs placements américains au profit d’autres marchés. Les investisseurs ayant seulement un horizon de court terme pourraient être pris à contre-pied si le dollar américain venait à rebondir.
Tout compte fait, un huard fort est la conséquence d’un changement dans les flux de capitaux mondiaux, changement qui se traduit par un dollar américain largement plus faible. Pour l’économie canadienne, cela crée un resserrement indésirable des conditions, en particulier pour le secteur des exportations. Pendant ce temps, l’économie intérieure continue de paraître très fragile. Dans ces circonstances, nous pensons que la Banque du Canada sera contrainte de changer de cap et devra abaisser ses taux directeurs de 75 points de base supplémentaires cette année.
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