- Royce Mendes
Directeur général et chef de la stratégie macroéconomique
Jouer pour ne pas perdre
Après avoir retranché 25 points de base de plus au taux directeur en octobre, les dirigeants de la Banque du Canada (BdC) ont fait une déclaration audacieuse : selon eux, les taux d’intérêt sont désormais suffisamment faibles pour remettre l’économie pleinement sur les rails. Le taux directeur se situe dans le bas de la fourchette du taux neutre estimée, mais demeure supérieur au sommet de 1,75 % observé entre la crise financière mondiale et la pandémie. Il est donc difficile de voir comment les dirigeants de la BdC peuvent avoir la certitude que le taux actuel de 2,25 % est assez faible pour permettre à l’économie de se redresser. Malgré la vigueur de l’Enquête sur la population active et les plus récents chiffres du PIB, l’économie canadienne semble encore fragile.
Mais en lisant entre les lignes du Rapport sur la politique monétaire d’octobre, on comprend que quelque chose d’autre est en jeu. Les banquiers centraux ont très peur d’une nouvelle vague d’inflation. Ainsi, ce n’est pas tant qu’ils sont certains d’en avoir fait assez; ils disent en réalité avoir fait tout ce qu’ils pensent pouvoir faire.
L’ancien gouverneur de la BdC, Stephen Poloz, a récemment déclaré que l’institution était en « mode gestion des risques ». Une analogie sportive pourrait être encore plus appropriée : il semble que la banque centrale joue en essayant de ne pas perdre plutôt qu’en tentant de gagner.
La poussée inflationniste provoquée par la pandémie semble avoir laissé des traces au sein de l’institution. Malgré très peu de données autres qu’anecdotiques, les banquiers centraux tiennent maintenant explicitement compte d’une pression inflationniste additionnelle découlant de la réorientation des chaînes d’approvisionnement et de la recherche de nouveaux marchés par les entreprises canadiennes. Il ne fait aucun doute que cette situation représente un risque haussier pour les perspectives d’inflation, mais l’intégrer au scénario de base est prématuré. La plupart des mesures de l’inflation sous-jacente suggèrent des conditions plutôt favorables.
En réalité, dans ses calculs, la BdC ne semble pas accorder suffisamment d’importance au risque que les taux d’intérêt actuels étouffent un cycle prospectif d’investissement des entreprises. Le gouvernement fédéral a bon espoir d’attirer des capitaux privés et a, de toute évidence, mis en place des mesures pour stimuler l’investissement des entreprises. Par ailleurs, la révolution de l’intelligence artificielle au sud de la frontière pourrait bientôt se répandre de manière plus évidente au Canada, à mesure que les entreprises parviennent à opérationnaliser les outils qui ont été développés. Les plus récents chiffres sur la productivité montrent que les entreprises ont commencé à s’adapter à la nouvelle dynamique commerciale avec les États‑Unis. Elles ont rationalisé leurs opérations, mais leur production continue de croître. Il serait dommage que les banquiers centraux entravent ces perspectives.
En dépit du langage ambigu selon lequel elle pourrait changer d’avis si les conditions évoluent, la BdC a été si claire et énergique dans son message que nous ne prévoyons pas d’autre baisse de taux au cours du cycle actuel. Nous nous attendons à ce qu’elle réitère son message de la dernière déclaration, soit que les taux actuels sont adéquats. Toutefois, pour les six prochains mois environ, jusqu’à ce que la politique budgétaire joue un rôle plus important, la BdC sera le seul joueur économique sur la patinoire. Si des signes commencent à montrer que sa théorie de l’inflation des coûts l’a menée dans la mauvaise direction, elle devra rapidement revoir son plan de match. Les risques sont trop importants pour retarder inutilement de nouveaux assouplissements. La BdC doit jouer pour gagner.
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