Choisir vos paramètres
Choisir votre langue
Économie et entrepreneuriat

Prévisions économiques : 10 questions à Jimmy Jean et Emna Braham

7 février 2024

L’état de l’économie américaine et canadienne, les prochaines baisses des taux d’intérêt, l’inflation, le marché du travail et la pénurie de logements… les sujets de préoccupation se multiplient pour les ménages et les entreprises.

Vous avez été nombreux à assister à la conférence web de Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège, et d’Emna Braham, directrice générale de l’Institut du Québec qui ont présenté les plus récentes prévisions économiques et financières. Plusieurs internautes en ont profité pour poser des questions lors de la conférence.

Voici les réponses à 10 questions qui ont été le plus souvent posées lors de cette présentation et le lien pour la réécoute de la web conférence.

Cliquez ici pour réécouter la conférence web Lien externe au site. S'ouvre dans une nouvelle fenêtre.

Que prévoit-on pour l’économie au Canada ?

L’économie canadienne a connu une meilleure croissance qu’attendu en 2023, notamment sous l’effet de l’essor démographique. Toutefois, les dépenses des consommateurs par habitant continuent de chuter, alors que les ménages qui ont une hypothèque baissent leur consommation en réaction aux renouvellements. Cette dynamique devrait continuer, présageant un premier semestre encore difficile sur le plan économique. On s’attend à une certaine amélioration à partir de la mi-année, alors que la Banque du Canada devrait avoir débuté sa normalisation monétaire. La reprise devrait toutefois être modeste, et l’effet des baisses de taux se fera seulement sentir au bout d’un certain temps.

Doit-on craindre d’autres augmentations des taux d’intérêt si jamais l’inflation ne ralentit pas comme prévu ?

Des pauses dans la trajectoire désinflationniste sont normales et ont été observées à quelques reprises depuis la mi-2022. Globalement, toutefois, la politique monétaire a une influence notable dans les composantes de l’inflation qu’elle est plus en mesure d’influencer, et la persistance de l’inflation se réduit largement à la composante du logement. Même si l’atteinte de la cible de 2 % mettra encore un certain temps, la Banque du Canada peut avoir confiance en l’efficacité de ses mesures sur l’activité économique. 

Une augmentation des taux d’intérêt en réaction à des soubresauts temporaires et des chocs d’offre apparaît peu probable, mais on ne peut exclure que la BdC retarde quelque peu la normalisation monétaire dans cette éventualité. Ce serait davantage si l’économie s’accélèrait, que les dépenses rebondissaient et que le taux de chômage recommençait à baisser, que la Banque du Canada aurait des raisons de craindre une nouvelle poussée inflationniste durable. Des hausses de taux seraient alors plus envisageables. La probabilité d’assister à un tel scénario nous semble toutefois relativement faible.

Peut-on s’attendre à une reprise du marché immobilier ?

Le marché immobilier devrait éventuellement se stabiliser lorsque les baisses de taux d’intérêt se matérialiseront. Les taux hypothécaires demeurent cependant élevés et l’accès à la propriété est encore difficile. Les inventaires de propriétés demeurent faibles et les constructeurs immobiliers continuent de naviguer un environnement défavorable du côté des coûts de construction et des pénuries de main-d’œuvre. Ainsi, le niveau d’activité devrait être plutôt faible, autant du côté de l’offre que de la revente sur le marché de la propriété. L’accès difficile à la propriété devrait ainsi maintenir les pressions sur les prix des loyers, alors que le taux d’inoccupation locatif a atteint son plus bas niveau en 15 ans l’an dernier.

Les obligations à court terme sont-elles à privilégier pour un placement important ?

Notre préférence porte sur les obligations à plus long terme. Bien que leurs valeurs reflètent déjà les baisses de taux que nous prévoyons, elles procurent des rendements périodiques intéressants, qui offrent un niveau de protection si les banques centrales devaient réduire les taux plus lentement qu’anticipé. Les valorisations obligataires sont également avantageuses lorsqu’on les compare à celles des marchés boursiers. Les obligations de court terme génèrent de meilleurs rendements de coupon actuellement, mais l’on peut fixer des rendements seulement légèrement plus bas avec des obligations de long terme et profiter d’une échéance significativement plus longue.

Peut-on s’attendre à des pertes d’emplois plus importantes si l’inflation persiste ?

Une inflation plus persistante se traduirait par une politique monétaire qui resterait plus restrictive plus longtemps, ce qui ralentirait d’autant l’activité économique et les embauches. Cependant, au vu des difficultés rencontrées par les employeurs au cours des dernières années pour recruter et retenir leur main-d’œuvre — et comme le ralentissement économique devrait être de courte durée — il y a fort à parier que plusieurs employeurs feront le choix de maintenir leurs employés en poste. Le taux de chômage devrait ainsi être plus élevé que par les années passées — entre 5 % et 6 % en 2024 — tout en demeurant inférieur aux taux observés lors des dernières récessions.

Est-ce que le coût de la main-d’œuvre restera élevé ?

Oui, bien que la croissance des salaires ait ralenti en 2023, elle demeure plus élevée que la tendance historique. Si une appréciation des salaires est bienvenue pour attirer et retenir des travailleurs — en particulier dans les secteurs qui peinent à le faire — elle peut également avoir des effets négatifs si elle n’est pas accompagnée de gains de productivité. En effet, si les salaires augmentent plus rapidement que la richesse qui est créée, la compétitivité des entreprises pourrait être compromise. Leurs leviers pour investir se réduiraient, tout en créant une pression qui pourrait faire monter les prix.

Quels sont les secteurs qui seront en croissance en 2024 ?

La croissance de l’emploi dans le secteur public qu’on a observé au cours des dernières années, notamment en santé et en enseignement, pourrait se poursuivre. D’une part parce que la demande dépend davantage des besoins de la population que de l’activité économique, d’autre part, parce que cette demande pour certains services publics augmente avec le vieillissement de la population.  

Les besoins de travailleurs dans le secteur de la construction pourraient augmenter avec la multiplication de projets pour combler les pénuries de logements, et avec les nouveaux projets du gouvernement comme ceux liés à la filière batterie et au secteur énergétique d’Hydro-Québec.

Est-ce que l’économie américaine va s’essouffler ?

Il est probable que certains facteurs deviennent moins porteurs, comme l’effet de l’amélioration des chaînes d’approvisionnement. Le taux de participation a également connu un certain ressac vers la fin de 2023. Le taux d’épargne est bas, ce qui indique un peu moins de marge de manœuvre pour une accélération de la consommation. Ces facteurs militent pour un certain ralentissement de cadence, mais avec la Réserve fédérale qui s’oriente selon nous vers un assouplissement monétaire à l’été, nous n’entrevoyons pas un recul très marqué de l’économie. La croissance de la productivité est étonnamment forte, ce qui indique que les entreprises trouvent les moyens de composer avec les pressions de coûts sans effectuer des mises à pied massives.

Quels impacts pourraient avoir une réélection de Trump à la présidence des États-Unis ?

Le ton se durcira du côté des accords commerciaux. Même si les Démocrates ont historiquement été les plus protectionnistes, l’administration Biden compte sur les minéraux critiques en provenance du Canada pour alimenter sa politique industrielle de transition climatique, le Inflation Reduction Act. De son côté, Donald Trump menace d’imposer des tarifs de 10 % sur toutes les importations. À tout le moins, la révision de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique prévue pour 2026 s’annonce difficile pour le Canada. Mais c’est la Chine qui serait la plus vulnérable, alors que Trump menace des tarifs de 60 % sur les produits chinois. Le climat d’incertitude géopolitique monterait d’un cran. La coopération internationale sur les changements climatiques serait également entachée si Trump révoquait l’adhésion des États-Unis à l’Accord de Paris.

Quels sont les risques associés à la perturbation du transport maritime en mer Rouge ?

Pour l’instant, cela semble surtout nuire aux chaînes d’approvisionnements et aux secteurs industriels en Europe, notamment. Le transport en provenance d’Asie vers l’Amérique du Nord passe davantage par le Pacifique. Des méthodes de contournement sont également en émergence, au cas où la sécurité ne serait pas rétablie, par exemple la création de ponts terrestres passant par l’Arabie saoudite et l’utilisation accrue du transport par cargo aérien. Cela dit, les tensions provoquent des augmentations des coûts et des retards de livraison, qui affecteront les économies des régions touchées. L’ampleur de l’impact dépendra de la durée des tensions, qui est difficile à déterminer. Cela dit, tout porte à croire que les effets seront plus faibles que les perturbations aux chaînes d’approvisionnement observées à l’échelle mondiale durant la pandémie.