- Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Au-delà du (nécessaire) baiser de l’anneau
Quelle que soit notre opinion de Donald Trump, il est difficile de nier l’évidence : la plupart de ses adversaires finissent par rentrer dans le rang. Ron DeSantis, Nikki Haley, les figures médiatiques à tendance libérale et même les leaders mondiaux qui se sont empressés d’appeler à Mar-a-Lago depuis le 6 novembre – la stratégie du jour semble être de laisser son ego à la porte pour aller « embrasser l’anneau » (kiss the ring).
Le Canada pourrait bien sauter dans le train lui aussi. Cette conjoncture critique requiert à la fois une finesse diplomatique et une planification stratégique. La réponse doit être double : défendre notre partenariat économique essentiel avec les États-Unis tout en répondant aux priorités nationales pour renforcer la résilience et la compétitivité.
Les arguments pour soutenir la position du Canada ne manquent pas. Les moments comme ceux-ci font réaliser à tout le monde à quel point la relation canado-américaine est symbiotique, une chose que nous tenons généralement pour acquise. Un exemple des plus évidents est celui de l’industrie automobile, où des pièces fabriquées dans le « corridor automobile » – qui va du sud de l’Ontario jusqu’au sud du Texas et de l’Alabama en passant par le Michigan et l’Ohio – traversent la frontière jusqu’à huit fois avant d’arriver à l’assemblage final.
Cette profonde intégration entre les deux pays va bien au-delà du secteur automobile. Les sociétés aéronautiques canadiennes, comme Bombardier et d’importants entrepreneurs en défense, jouent un rôle essentiel dans l’écosystème industriel et militaire des États-Unis. Selon certaines estimations conservatrices, les exportations militaires canadiennes vers les États-Unis dépassent le milliard de dollars par année. L’imposition de tarifs douaniers sur ces secteurs perturberait des chaînes d’approvisionnement essentielles, mais gonflerait aussi les dépenses fédérales, une situation qui serait en porte-à-faux avec les ambitions d’efficacité gouvernementale de l’administration Trump.
Mais l’interdépendance de nos deux pays n’est nulle part aussi évidente que dans le secteur de l’énergie. Le Canada a expédié près de quatre millions de barils de pétrole brut par jour aux États-Unis en 2023. Les raffineries américaines du Midwest et de la côte du golfe du Mexique sont conçues spécifiquement pour traiter le pétrole brut lourd canadien, tandis que les oléoducs de gaz naturel qui traversent la frontière constituent la base de la sécurité énergétique des États américains du nord et du centre. Des droits de douane sur les importations de pétrole brut feraient bondir le prix de l’essence, ce qui irait directement à l’encontre des promesses de Trump. Un compromis à ce chapitre sera donc facile à aller chercher pour les négociateurs canadiens, d’autant plus que l’ancien secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, a récemment laissé entendre que l’énergie canadienne pourrait être exemptée des tarifs douaniers.
Et puis, bien que Donald Trump ne soit pas tout à fait un militant pour le climat, il a exprimé le désir de rendre l’air plus propre pour les Américains, un domaine où le Canada peut apporter une importante contribution. La ligne de transport Champlain Hudson Power Express, qui reliera le Québec à l’État de New York, devrait combler environ 20 % des besoins en électricité de la ville de New York avec l’énergie principalement hydroélectrique du Québec. Cela contribuera à la fois aux objectifs environnementaux et à la stabilité énergétique régionale. De même, la richesse des minéraux critiques du Canada en Ontario et au Québec offre aux États-Unis un moyen de réduire leur dépendance à la Chine (graphique) pour les intrants essentiels aux technologies propres et à l’innovation.
La tâche des décideurs canadiens est donc en apparence simple : présenter le Canada comme un partenaire indispensable et démontrer à l’administration Trump que de cibler des industries canadiennes risque d’engendrer des conséquences économiques indésirables aux États-Unis. Ces arguments peuvent paraître convaincants en eux-mêmes, mais les diplomates canadiens devront tout de même procéder avec doigté et créativité.
Après tout, ils font face à un mouvement politique rempli d’adeptes des « faits alternatifs » qui n’hésitent pas à privilégier l’idéologie plutôt que la raison, et pour qui le style a autant – sinon plus – de poids que le fond. À tout le moins, il est encourageant de voir que des gens ont déjà commencé à réfléchir de manière originale au Canada. L’idée la plus divertissante que nous ayons entendue est celle selon laquelle Wayne Gretzky pourrait être un représentant efficace. Qui sait? Nous aurions peut-être 99 raisons d’espérer.
Mais l’espoir n’est évidemment pas une stratégie. Le défi fondamental consiste à renforcer la souveraineté économique du Canada vis-à-vis des États-Unis. Même si cette stratégie est sans doute de plus longue haleine, le Canada doit se rendre à l’évidence : les Américains ont voté deux fois pour l’isolationnisme économique au cours de la dernière décennie. Cela devrait donc être perçu comme une caractéristique du paysage politique américain d’aujourd’hui plutôt que comme une anomalie. Pour bâtir sa résilience commerciale, le Canada doit agir sur trois fronts.
D’abord, il lui faut accélérer la diversification de ses marchés d’exportation. Des accords comme l’AECG avec l’Europe et les nouveaux partenariats avec l’Indo-Pacifique sont des occasions importantes. Cette dernière région représente un marché de 4 milliards de personnes et de 47 milliards de dollars d’activité économique. Des relations commerciales diversifiées permettent non seulement d’atténuer les risques associés au protectionnisme américain, mais aussi de stimuler l’innovation et la compétitivité des entreprises canadiennes. Comme nos propres travaux Lien externe au site. l’ont montré, les entreprises actives dans plusieurs marchés ont tendance à favoriser la productivité et à contribuer plus fortement à la croissance économique. À ce chapitre, certaines provinces Lien externe au site.,comme le Manitoba et la Saskatchewan, sont en meilleure posture.
Ensuite, il est temps de s’attaquer au paradoxe faisant qu’il est plus facile pour de nombreuses entreprises canadiennes d’échanger avec les États-Unis qu’avec les provinces voisines. Le FMI estime qu’en éliminant les barrières et inéquations réglementaires et en s’attaquant à la complexité administrative qui freine le commerce interprovincial, le Canada pourrait augmenter son PIB par habitant de 4 %. Lever ces obstacles une fois pour toutes permettrait au Canada de maximiser son potentiel de croissance intérieure et de mieux amortir les chocs commerciaux extérieurs.
Enfin, les entreprises canadiennes doivent profiter de ce moment charnière pour investir dans l’automatisation. Selon les données de la Fédération internationale de la robotique, les fabricants canadiens déploient seulement 176 robots par 10 000 travailleurs, comparativement à 255 aux États-Unis et à plus de 800 chez les chefs de file asiatiques. Dans un contexte où le ralentissement de l’immigration risque d’attiser de nouveau la pénurie de main-d’œuvre et où les tarifs douaniers envisagés nuiraient à la compétitivité, l’automatisation offre une occasion d’aller tout de même chercher des gains importants d’efficience et de productivité.
Les décideurs peuvent soutenir cette transition au moyen d’incitatifs ciblés : dépréciation accélérée des équipements d’automatisation, bonification des crédits d’impôt pour la recherche et le développement, et déductions pour les formations spécialisées en technologies d’automatisation. Une stratégie nationale d’automatisation concertée et ambitieuse pourrait également s’avérer utile à cette étape. Certaines entreprises pourraient être tentées de réagir au retour de Trump en réduisant leurs investissements, mais la solution consiste peut-être à faire exactement le contraire. Par conséquent, les décideurs doivent envoyer des signaux clairs et non équivoques afin d’encourager une réponse proactive et dynamique, qui permettra aux entreprises de saisir les occasions qui se cachent souvent derrière les menaces apparentes.
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Quelle que soit notre opinion de Donald Trump, il est difficile de nier l’évidence : la plupart de ses adversaires finissent par rentrer dans le rang. Ron DeSantis, Nikki Haley, les figures médiatiques à tendance libérale et même les leaders mondiaux qui se sont empressés d’appeler à Mar-a-Lago depuis le 6 novembre – la stratégie du jour semble être de laisser son ego à la porte pour aller « embrasser l’anneau » (kiss the ring).
Le Canada pourrait bien sauter dans le train lui aussi. Cette conjoncture critique requiert à la fois une finesse diplomatique et une planification stratégique. La réponse doit être double : défendre notre partenariat économique essentiel avec les États-Unis tout en répondant aux priorités nationales pour renforcer la résilience et la compétitivité.
Les arguments pour soutenir la position du Canada ne manquent pas. Les moments comme ceux-ci font réaliser à tout le monde à quel point la relation canado-américaine est symbiotique, une chose que nous tenons généralement pour acquise. Un exemple des plus évidents est celui de l’industrie automobile, où des pièces fabriquées dans le « corridor automobile » – qui va du sud de l’Ontario jusqu’au sud du Texas et de l’Alabama en passant par le Michigan et l’Ohio – traversent la frontière jusqu’à huit fois avant d’arriver à l’assemblage final.
Cette profonde intégration entre les deux pays va bien au-delà du secteur automobile. Les sociétés aéronautiques canadiennes, comme Bombardier et d’importants entrepreneurs en défense, jouent un rôle essentiel dans l’écosystème industriel et militaire des États-Unis. Selon certaines estimations conservatrices, les exportations militaires canadiennes vers les États-Unis dépassent le milliard de dollars par année. L’imposition de tarifs douaniers sur ces secteurs perturberait des chaînes d’approvisionnement essentielles, mais gonflerait aussi les dépenses fédérales, une situation qui serait en porte-à-faux avec les ambitions d’efficacité gouvernementale de l’administration Trump.
Mais l’interdépendance de nos deux pays n’est nulle part aussi évidente que dans le secteur de l’énergie. Le Canada a expédié près de quatre millions de barils de pétrole brut par jour aux États-Unis en 2023. Les raffineries américaines du Midwest et de la côte du golfe du Mexique sont conçues spécifiquement pour traiter le pétrole brut lourd canadien, tandis que les oléoducs de gaz naturel qui traversent la frontière constituent la base de la sécurité énergétique des États américains du nord et du centre. Des droits de douane sur les importations de pétrole brut feraient bondir le prix de l’essence, ce qui irait directement à l’encontre des promesses de Trump. Un compromis à ce chapitre sera donc facile à aller chercher pour les négociateurs canadiens, d’autant plus que l’ancien secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, a récemment laissé entendre que l’énergie canadienne pourrait être exemptée des tarifs douaniers.
Et puis, bien que Donald Trump ne soit pas tout à fait un militant pour le climat, il a exprimé le désir de rendre l’air plus propre pour les Américains, un domaine où le Canada peut apporter une importante contribution. La ligne de transport Champlain Hudson Power Express, qui reliera le Québec à l’État de New York, devrait combler environ 20 % des besoins en électricité de la ville de New York avec l’énergie principalement hydroélectrique du Québec. Cela contribuera à la fois aux objectifs environnementaux et à la stabilité énergétique régionale. De même, la richesse des minéraux critiques du Canada en Ontario Lien externe au site. et au Québec Lien externe au site. offre aux États-Unis un moyen de réduire leur dépendance à la Chine (graphique) pour les intrants essentiels aux technologies propres et à l’innovation.