Bientôt, vous céderez votre entreprise à vos enfants. C’est une étape importante de votre vie et vous ne voulez négliger ni les aspects légaux ni les aspects humains. Qu’en est-il de la fiscalité? Certaines erreurs courantes pourraient vous faire perdre une petite fortune en impôts. Voici comment les éviter.
La vente de votre entreprise à un membre de votre famille vous amènera un revenu important, qui sera imposé. Selon la façon dont vous organiserez la transaction, le fisc considérera ce revenu comme un gain en capital ou un dividende. Et vous voulez qu’il le considère comme un gain en capital!
Gain en capital :
- taux d’imposition maximal de 26,6 %
- en 2023, les premiers 971 190 $ sont admissibles à la déduction pour gains en capital
Dividende :
- taux d’imposition maximal de 48,7 %
- pas de déduction pour gains en capital, car il s’agit d’un revenu de dividende
La déduction de 971 190 $ pour les gains en capitaux est un maximum à vie. Par exemple, si vous avez déjà utilisé 50 000 $ de cette déduction, vous n’aurez droit qu’à 921 190 $. Cette déduction est indexée chaque année et pourrait donc être plus élevée dès 2024.
Gain en capital ou dividende : un exemple de différence
Il y a 20 ans, Robert a fondé son entreprise avec 10 000 $ d’investissement. Aujourd’hui, il désire la vendre 2 millions de dollars à sa fille Mélanie, qui le paiera au fil des ans avec les profits. Robert devra ajouter cette somme à ses déclarations de revenus.
Si le fisc considère que ce revenu est un gain en capital :
- revenus : 2 000 000 $
- capital investi : 10 000 $
- gain en capital : 1 990 000 $ (soit 2 000 000 $ moins 10 000 $)
- déduction pour gains en capital : 971 190 $
- gain en capital sur lequel Robert paiera de l’impôt : 1 018 810 $ (soit 1 990 000 $ moins 971 190 $)
- taux d’imposition maximal : 26,6 %
- impôts à payer au taux le plus élevé : 271 003 $
- Robert pourrait aussi avoir à payer un impôt minimum de remplacement, qui pourrait être récupéré sur une durée maximale de 7 ans.
Si le fisc considère que le produit de la vente est un dividende :
- revenus : 1 990 000 $
- taux d’imposition maximal : 48,7 %
- impôts à payer au taux le plus élevé : 969 130 $
La différence : 698 127 $!
Bien sûr, l’exemple est simplifié et chaque cas est particulier. « Mais le gain en capital reste toujours la meilleure stratégie », dit Patrick Giroux, conseiller principal en fiscalité chez Desjardins. Et ce, grâce aux modifications annoncées en 2021 avec le projet de loi C-208 adopté dans la même année.
Merci à la loi C-208!
Avant le 29 juin 2021, Robert n’aurait pas pu bénéficier des avantages du gain en capital (du moins, pas pour ses impôts fédéraux). La raison : l’acheteur étant un membre de la famille, donc lié à lui, le fisc aurait considéré son revenu comme un dividende. En d’autres termes, pour bénéficier de la déduction pour gains en capital, et donc payer beaucoup moins d’impôts, Robert devait vendre ses actions à un acquéreur externe!
La nouvelle loi C-208 corrige cette incohérence et permet à la famille de structurer la transaction dans l’intérêt de tous.
Comment structurer la transaction?
Dans l’exemple dont nous venons de parler, Mélanie n’a pas 2 millions de dollars en liquidités. Elle paiera son père avec les profits de l’entreprise ou un prêt consenti à l’entreprise.
- Elle créera donc une société de gestion qui sera propriétaire de la société opérante (l’entreprise « réelle »).
- Robert vendra ses actions de la société opérante en faveur de cette société de gestion.
- La société de gestion empruntera les fonds qui serviront à payer les actions acquises de Robert.
Pour Mélanie, ce montage est très avantageux. Le paiement se fait directement entre la société de gestion et Robert, sans passer par elle, donc sans qu’elle ait à payer de l’impôt personnel sur cet argent. Sinon, elle devrait par exemple sortir de l’entreprise 4 millions de dollars (sous forme de salaires ou de dividendes, etc.), payer 2 millions en impôts, puis verser les 2 millions restant à Robert.
Pour Robert aussi, cette approche sera gagnante. La vente des actions ne sera pas considérée comme un dividende, mais bien comme un gain en capital, avec tous les avantages fiscaux que cela suppose.
La transaction devra cependant respecter certaines conditions.
Quelles conditions respecter?
« C’est uniquement pour le transfert des actions, avertit d’emblée Patrick Giroux, pas pour les actifs de l’entreprise! »
C’est uniquement, aussi, pour les transactions entre descendants directs, par exemple entre Robert et sa fille, ou entre Robert et ses petits-enfants (ou les enfants et petits-enfants de sa conjointe). Si Robert vendait son entreprise à son frère, son revenu serait considéré comme un dividende.
Voici les principales conditions à respecter. Si votre entreprise est agricole ou de pêche familiale : certaines conditions sont différentes.
Pour l’entreprise transférée (si elle n’est ni agricole ni de pêche familiale) :
- Elle doit être incorporée, donc avec des actions. Cette stratégie ne fonctionne pas pour les sociétés de personnes (qui n’ont pas d’actions, mais des parts) ou les entreprises enregistrées (qui n’ont ni actions ni parts).
- Elle doit être privée. Les entreprises inscrites à la Bourse sont exclues.
- Elle doit être une entreprise opérante.
- 24 mois avant la transaction, au moins 50 % des actifs doivent être principalement consacrés aux opérations.
- Lors de la transaction, au moins 90 % des actifs doivent être principalement consacrés aux opérations.
- Pour pleinement profiter de la déduction pour gain en capital, le capital de l’entreprise ne doit pas dépasser 10 millions de dollars.
- Entre 10 et 15 millions, la déduction est graduellement diminuée.
- En haut de 15 millions, la déduction est annulée.
Pour le vendeur (dans notre exemple, Robert) :
- Le vendeur doit avoir été propriétaire des actions depuis 24 mois ou plus.
- Il paiera des impôts sur la juste valeur marchande de l’entreprise. Dans notre exemple, l’entreprise vaut 2 millions de dollars. Le fisc considérera donc que la transaction s’est faite au montant de 2 millions de dollars, même si Robert la vendait pour beaucoup moins à sa fille.
- Le vendeur peut transférer une partie ou la totalité de son entreprise.
Pour l’actionnaire de l’acheteur (dans notre exemple, Mélanie) :
- Il doit être âgé de 18 ans ou plus.
- Il peut y avoir plus d’une personne actionnaire de la société acheteuse (le contrôle doit être détenu par des enfants ou petits-enfants du vendeur).
- La société acheteuse doit conserver les actions acquises pendant au moins 60 mois.
Québec : des critères supplémentaires!
Votre transaction doit non seulement respecter les conditions déterminées par Ottawa, mais aussi celles de votre province. Or, au moment d’écrire ces lignes, le Québec impose des critères plus sévères que le Canada. Une autre bonne raison pour consulter un fiscaliste!
Au Québec :
- Le vendeur (dans notre exemple, Robert) doit être un particulier. Les fiducies sont donc exclues.
- Le vendeur doit avoir réellement travaillé dans l’entreprise au cours des 24 mois précédant la transaction. Cependant, il doit cesser de travailler dans l’entreprise après la transaction, sauf pour assurer un transfert harmonieux.
- Après la transaction, même si le vendeur continue à travailler dans l’entreprise pour assurer un transfert harmonieux, il ne doit pas recevoir un salaire plus élevé que le maximum des gains admissibles du Régime de rentes du Québec.
- Le vendeur ne doit pas conserver le contrôle légal de l’entreprise après la transaction.
- Après la première série de transactions, le vendeur ne doit pas conserver plus de 60 % de la valeur de l’entreprise. Après 10 ans, il ne doit pas conserver plus de 30 % de cette valeur.
Et si les conditions ne sont pas respectées?
Le fisc peut être strict. Si l’une ou l’autre des conditions n’est pas respectée, le transfert d’entreprise sera considéré comme une transaction entre personnes liées. Par conséquent, le revenu sera considéré comme un dividende, et le vendeur devra payer beaucoup plus d’impôts.
Entreprises agricoles ou de pêche : des règles plus généreuses
Si votre entreprise est agricole ou de pêche familiale, les règles sont un peu moins sévères. Voici les principales différences.
- La déduction peut atteindre un million de dollars, plutôt que 971 190 $ pour les autres entreprises.
- La déduction pour gains en capital peut s’appliquer pour les participations dans une société de personnes.
- Si l’entreprise est personnelle (enregistrée, et non incorporée), des actifs comme des terres et des quotas se qualifient. Cependant, les inventaires comme le troupeau ou les aliments, ainsi que la machinerie, ne se qualifient pas.
- Le vendeur sera imposé selon le montant de la transaction, et non selon la valeur réelle de l’entreprise.
- Au Québec : le vendeur ne doit pas conserver plus de 80 % de la valeur de l’entreprise après la première série de transactions, et pas plus de 50 % après 10 ans.
La clé du succès réside dans la planification
Le transfert d’une entreprise est une transaction complexe. Par exemple, deux ans avant la transaction, l’entreprise devra peut-être se départir de certains de ses biens pour respecter le critère de 50 % des actifs consacrés principalement aux opérations. Autre exemple, le gain en capital peut avoir un impact sur l’impôt minimum de remplacement ou sur des programmes d’aide gouvernementale, comme la pension de la Sécurité de la vieillesse. Votre fiscaliste vous permettra d’y voir plus clair afin de réduire ces impacts, notamment en choisissant le meilleur moment pour réaliser la transaction. « Planifiez! », conseille Patrick Giroux. Ou plus précisément, planifiez avec l’aide de votre comptable, de votre fiscaliste et de votre institution financière. Vous avez besoin des bons joueurs dans votre équipe. Les sommes en jeu sont trop importantes!